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17 février 2020 1 17 /02 /février /2020 13:55
Quel serait l’impact d’un ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde ?

Durant les années deux mille, l’économie chinoise croissait à un rythme annuel à deux chiffres. Depuis la crise financière mondiale, sa croissance a eu tendance à ralentir : elle est passée de 10 % à 6,6 % entre 2010 et 2018. Ce ralentissement tient fondamentalement à des raisons structurelles, comme l’épuisement du réservoir de main-d’œuvre peu qualifiée issue de l’exode rural, la tertiarisation de l’économie et le vieillissement démographique. Des facteurs conjoncturels ont notamment été à l’œuvre, comme la faiblesse de la reprise dans les pays développés, puis la guerre commerciale de Trump, qui ont pesé sur les exportations chinoises. Les autorités chinoises ont régulièrement cherché à stimuler l’activité à court terme, notamment en recourant à la relance budgétaire et en favorisant l’accès au crédit, au risque de compromettre la stabilité financière. Notamment pour cette dernière raison, beaucoup d’économistes ont par le passé régulièrement signalé l’imminence d’un « atterrissage brutal » de l’économie chinoise. Mais, même si l’on peut douter de la pleine fiabilité des données officielles de la comptabilité nationale chinoise [Fernald et alii, 2015 ; Chen et alii, 2019], la croissance chinoise semble être restée assez stable jusqu’à présent.

L’actuelle épidémie de coronavirus ranime les craintes d’un atterrissage brutal de l’économie. Il faut dire que le scénario d’une récession chinoise semble aujourd’hui particulièrement probable à très court terme : avec la panique entraînée par l’épidémie, puis les mesures adoptées par les autorités chinoises pour tenter de contenir la propagation du virus, les ménages ont fortement réduit leur consommation, certaines usines ont été fermées et celles qui restent ouvertes peuvent manquer de main-d’œuvre et éprouvent des difficultés à se fournir en biens intermédiaires.

GRAPHIQUE 1  Contribution de la Chine au PIB mondial et à sa croissance (en % et points de %)

Quel serait l’impact d’un ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde ?

Un ralentissement marqué de la croissance chinoise est susceptible d’avoir de bien plus amples répercussions sur l’économie qu’il n’en aurait eues au début du siècle. En effet, au cours des dernières décennies, non seulement l’économie chinoise a contribué à une part croissante de la production mondiale, mais ses liens avec le reste du monde se sont en outre renforcés [Bing et alii, 2019]. Premièrement, en termes de parités de pouvoir d’achat, la contribution de la Chine au PIB mondial dépasse celle des Etats-Unis depuis 2014. En 2018, elle contribuait à un cinquième du PIB mondial, contre 8 % en 2001 (cf. graphique 1). Depuis 2001, elle contribue à plus d’un point de pourcentage à la croissance mondiale (qui atteint 3,8 % par an en moyenne). Deuxièmement, elle contribue à une part significative du commerce international. Sa part dans les importations mondiales est passée de 3 % à 10 % entre son adhésion à l’OMC en 2001 et 2018 (cf. graphique 2). Aujourd’hui, elle constitue le deuxième plus gros importateur au monde. Elle contribue également à de nombreuses tâches de production des chaînes de valeur mondiales. Troisièmement, la Chine contribue à une part significative de la demande mondiale des matières premières. Par exemple, elle consomme environ la moitié des productions mondiales de cuivre, d’aluminium et d’acier et 14 % de la production mondiale de pétrole. Quatrièmement, la Chine est par contre relativement peu intégrée financièrement, en raison de ses contrôles des capitaux : ses parts dans les actifs et passifs mondiaux sont certes bien inférieures que ses contributions à la production mondiale et au commerce, mais elles ne sont pas non plus négligeables.

GRAPHIQUE 2  Part de la Chine dans les importations mondiales (en %)

Quel serait l’impact d’un ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde ?

Si l’économie chinoise connaissait un fort ralentissement de sa croissance économique, voire une récession, cela diminuerait de facto sa contribution à la croissance mondiale. Mais en outre, le ralentissement de la croissance chinoise affecterait la croissance du reste du monde, directement via la baisse des ses importations et de ses achats de matières premières et, dans une bien moindre mesure, via le canal financier [Bing et alii, 2019]. La baisse des achats chinois de matières premières va certes directement peser sur les exportations de pays producteurs de matières premières, mais elle pourrait bénéficier aux autres pays : si la demande chinoise chute, le prix des matières premières va également chuter, ce qui va certes amplifier l’impact négatif sur les pays exportateurs de matières premières, mais aussi bénéficier aux entreprises et ménages des pays importateurs de matières premières, en réduisant leurs coûts de production et en augmentant leur pouvoir d’achat. Une baisse permanente d’un point de pourcentage de la croissance chinoise se traduirait par une baisse de 7 % des prix du pétrole et de 8 % des prix des métaux industriels au cours de l’année suivante [Ghoshray et Pundit, 2016]. 

Il y a également des canaux plus indirects : un ralentissement de la croissance chinoise peut conduire à une hausse de l’incertitude et une chute de la confiance à travers le monde, ce qui peut non seulement directement peser sur l’investissement des entreprises étrangères, mais aussi provoquer une hausse de l’aversion au risque et des turbulences sur les marchés financiers, notamment en entraînant une hausse des primes de risque et un effondrement des cours boursiers, à nouveau au détriment de l’investissement. Malgré la faible intégration financière de l’économie chinoise, Shaghil Ahmed est ses coauteurs (2019) estiment qu’une crise financière sévère en Chine aurait d’importantes répercussions sur les Etats-Unis et sur l’ensemble de l’économie mondiale ; c’est ce qu’ont notamment suggéré l’épisode de la dévaluation du renminbi et des turbulences financières chinoises en 2015-2016.

Puisqu’il s’agit des principaux canaux de contagion, beaucoup d’études empiriques ont cherché à déterminer quelles seraient les répercussions d’un ralentissement de la croissance chinoise transition en se concentrant sur le commerce et les achats de matières premières [Gauvin et Rebillard, 2018 ; Kireyev et Leonidov, 2016]. Elargissant la focale, Davide Furceri et ses coauteurs (2016) avaient trouvé qu’une baisse d’un pourcent de la croissance chinoise était susceptible de retrancher de 0,25 % la croissance de la production des autres pays en 2014, contre 0,02 % en 1990.

D’après les simulations plus récentes réalisées par Xu Bing, Moritz Roth et Daniel Santabárbara (2019), la baisse permanente d’un point de pourcentage de la croissance annuelle de la Chine se traduirait aujourd’hui par une baisse de la croissance mondiale de 0,4 point de pourcentage. En l’occurrence, dans les pays développés, l’impact global sur le PIB serait inférieur à 0,3 point de pourcentage, dans la mesure où la baisse des prix des matières premières leur serait généralement bénéfique et compenserait ainsi en partie l’impact nocif de la chute de leurs exportations et des turbulences financières. Dans les pays en développement, l’impact sur la croissance du PIB serait de 0,5 point de pourcentage. Ce sont les pays producteurs de matières premières et les pays asiatiques qui en seraient les plus affectés.

Aujourd’hui, avec la propagation du coronavirus en Chine, certains craignent un fort ralentissement de la croissance mondiale. Certes, l’épidémie de SRAS en 2003 avait eu un effet transitoire sur la croissance chinoise, mais la Chine a aujourd’hui un poids deux fois plus important dans l’économie mondiale. En outre, les répercussions de l’épidémie et de sa gestion par les autorités chinoises peuvent  également affecter l’activité du reste du monde par d’autres canaux qui ceux évoqués jusqu’à présent. En l’occurrence, avec la fermeture des usines chinoises, ce sont les chaînes de valeur internationales qui se retrouvent paralysées : de nombreux sites de production à travers le monde peuvent rapidement manquer de biens intermédiaires, les contraignant à réduire, voire arrêter, leur production à leur tour. Le tourisme chinoise a en outre chuté, or il constitue une importante source de revenus pour plusieurs pays en développement d'Asie.

 

Références

AHMED, Shaghil, Ricardo CORREA, Daniel A. DIAS, Nils GORNEMANN, Jasper HOEK, Anil JAIN, Edith LIU & Anna WONG (2019), « Global spillovers of a China hard landing », Réserve fédérale, international finance discussion paper, n° 1260.

BING, Xu, Moritz ROTH & Daniel SANTABÁRBARA (2019), « Global impact of a slowdown in China », in Banque d’Espagne, Economic Bulletin, n° 4/2019.

CHEN, Wei, Xilu CHEN, Chang-Tai HSIEH & Zheng (Michael) SONG (2019), « A forensic examination of China’s national accounts », Brookings Papers on Economic Activity, mars.

FERNALD, John, Eric HSU & Mark M. SPIEGEL (2015), « Is China fudgingitsfigures? Evidence from trading partner data », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2015-12.

FURCERI, Davide, João TOVAR JALLES, and Aleksandra ZDZIENICKA (2016), « China spillovers. New evidence from time-varying estimates”, FMI, spillover note, n° 7.

GAUVIN, Ludovic, & Cyril C. REBILLARD (2018), « Towards recoupling? Assessing the global impact of a Chinese hard landing through trade and commodity price channels », in The World Economy, vol. 41, n° 12. 

GHOSHRAY, Atanu, & Madhavi PUNDIT (2016), « The impact of a People’s Republic of China slowdown on commodity prices and detecting the asymmetric responses of economic activity in Asian countries to commodity price shocks », ADB, economics working paper, n° 493.

KIREYEV, Alexei, & Andrei LEONIDOV (2016), « China’s imports slowdown: Spillovers, spillins, and spillbacks », FMI, working paper, n° 16/51, mars.

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12 février 2020 3 12 /02 /février /2020 21:24
Que se passe-t-il lors des récessions mondiales ?

Il y a dix ans, l’économie mondiale émergeait à peine de la plus forte crise économique qu’elle ait connue depuis la Grande Dépression des années trente. Au cours de la dernière décennie, les craintes d’une nouvelle récession mondiale se sont régulièrement ravivées, sans pour l’heure se concrétiser ; ce fut notamment le cas autour de 2012 dans le sillage de la crise de la zone euro, autour de 2015 avec la peur d’un atterrissage brutal de l’économie chinoise, puis plus récemment avec l’escalade de la guerre commerciale lancée par l’administration Trump et ces dernières semaines avec l’épidémie du coronavirus.

Rares sont les travaux se focalisant sur les récessions mondiales. Kenneth Rogoff et alii (2002) avaient cherché à déterminer si le ralentissement que connaissait la croissance mondiale en 2001 constituait une récession mondiale, mais ils s’étaient focalisés sur ce seul épisode. En fait, c’est l’ouvrage d’Ayhan Kose et Marco Terrones (2020) qui proposa le premier compte-rendu détaillé des récessions mondiales à partir d’un échantillon de données relatives à 163 pays sur la période allant de 1960 à 2012. 

GRAPHIQUE 1  Croissance de la production par tête mondiale (en %)

Que se passe-t-il lors des récessions mondiales ?

En observant les données relatives à 181 pays pour la période allant de 1950 à 2019, Ayhan Kose, Naotaka Sugawara et Marco Terrones (2020) viennent de proposer un panorama plus complet des récessions mondiales. Selon leur analyse, il y a eu quatre récessions mondiales au cours des sept dernières décennies : en l’occurrence, en 1975, en 1982, en 1991 et en 2009. Le PIB mondial réel annuel par tête s’est contracté au cours de chacun de ces épisodes (cf. graphique 1). En l'occurrence, mesurée avec les taux de change de marché, la production par tête a baissé en moyenne de 1,3 %, alors qu'elle augmentait en moyenne de 2,2 % au cours des années d’expansion ; mesurée avec les taux de change PPA, la production par tête a baissé de 0,8 % en moyenne, alors qu'elle augmentait en moyenne de 2,5 % au cours des années d'expansion. Seule la récession de 2009 s'est accompagnée d'une chute de la production mondiale (cf. graphique 2). Les données trimestrielles donnent une datation similaire des récessions mondiales et montrent que la durée typique d’une récession mondiale est d’environ une année, ce qui correspond à la durée moyenne des récessions nationales.

GRAPHIQUE 2  Croissance de la production mondiale (en %)

Que se passe-t-il lors des récessions mondiales ?

Lors d’une récession mondiale, la contraction de la production par tête s’accompagne d’un affaiblissement des autres indicateurs clés de l’activité économique mondiale. La production mondiale par tête, la production industrielle, le commerce international et la consommation de pétrole amorcent leur ralentissement deux ans avant le début d'une récession mondiale. L'investissement, la production industrielle et le commerce tendent à décliner plus fortement que la production lors des récessions mondiales. En outre, les conditions financières tendent à se durcir, le climat des affaires à se détériorer et l’incertitude entourant la politique économique à augmenter.

Les récessions mondiales ont été très fortement synchronisées au niveau international, avec de sévères perturbations économiques et financières dans plusieurs pays à travers le monde. Chacune d’entre elles a coïncidé avec une récession aux Etats-Unis, mais chaque récession américaine n’a pas été synchrone avec une récession mondiale : entre 1950 et 2019, l’économie américaine a en effet connu dix récessions au total. 

Jamais le même scénario ne s'est reproduit. La récession mondiale de 1975 a été provoquée par le premier choc pétrolier, qui accéléra fortement l’inflation. La récession de 1982 a résulté de la conjonction de plusieurs facteurs, notamment du deuxième choc pétrolier et du fort resserrement des politiques monétaires de plusieurs banques centrales, en particulier la Réserve fédérale (le « choc Volcker »). Ce resserrement monétaire et la chute des prix des matières premières provoquée par la récession ont particulièrement nui à plusieurs pays d’Amérique, en les exposant notamment à une crise de la dette publique. La récession mondiale de 1991 a résulté de la confluence de facteurs encore plus nombreux, notamment de la guerre du Golfe, qui accentua l’incertitude géopolitique et provoqua une nouvelle hausse des prix du pétrole, de crises bancaires aux Etats-Unis et dans les pays scandinaves, du resserrement des politiques monétaires européennes dans le sillage de la crise du système monétaire européen et la réunification allemande, ainsi que de la transition brutale des anciens pays du bloc communiste vers des économies de marché. Enfin, la récession mondiale de 2009 a été déclenchée par la crise financière mondiale. Parmi les quatre récessions mondiales enregistrées depuis 1950, elle a été la plus sévère et la plus synchronisée ; outre le fait qu'elle ait été la seule à s’être accompagnée d’une contraction de la production mondiale annuelle, elle a présenté les plus fortes chutes du commerce mondial, des flux de capitaux et de la production industrielle.

Les reprises mondiales, c'est-à-dire les premières années de l'expansion consécutive à une récession mondiale, ont souvent été caractérisées par un rebond généralisé de l’activité économique. Le taux de croissance moyen de la production mondiale au cours de la première année de reprise a été proche de la moyenne à plus long terme. Parmi les quatre reprises mondiales, c’est la reprise consécutive à la récession de 1975 qui présente la plus forte accélération de la croissance au cours de sa première année. La reprise consécutive à la récession de 2009 constitue la deuxième plus forte reprise mondiale, grâce à l’adoption d’une puissante relance budgétaire.

La durée des expansions mondiales vont de six ans (dans le cas de la reprise consécutive à la récession de 1975) à 17 ans (dans le cas de la reprise consécutive à la récession de 1991). L’expansion mondiale actuelle a fêté ses dix ans en 2019. Elle a été synchrone avec la plus longue expansion que les Etats-Unis aient connue au cours de leur histoire. Par rapport aux expansions mondiales passées, elle a certes enregistré une croissance moyenne par tête assez similaire, mais aussi la plus faible croissance du commerce mondial et des flux de capitaux. 

Kose et ses coauteurs soulignent que les récessions et reprises mondiales n’ont pas affecté les différents groupes de pays de la même façon. Au cours des récessions mondiales, la croissance de la production par tête a davantage décliné dans les pays développés que dans les pays en développement ; l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud sont même restées en expansion. Parmi les pays en développement, ce sont les pays à faible revenu qui ont connu les plus forte baisse de leur croissance. Au cours des quatre récessions mondiales, les échanges commerciaux et la production industrielle se sont davantage contractées dans les pays développés que dans les pays en développement.

De même, l’impact de la récession mondiale de 2009 n’a pas affecté de la même façon les différents groupes de pays. Les pays développés ont non seulement subi de plein fouet la récession, mais ils ont connu aussi la plus faible reprise en termes de production et de production par tête par rapport aux précédentes récessions mondiales, dans la mesure où beaucoup d’entre eux ont eu des difficultés à assainir leur système financier et à connaître un franc rebond de la demande domestique. Les pays en développement ont par contre connu une croissance positive de la production au cours de la dernière récession mondiale, puis la plus forte reprise mondiale qu’ils aient connue.

Enfin, Kose et ses coauteurs notent que les politiques conjoncturelles sont souvent assouplies lors des récessions mondiales et continuent d’être accommodantes lors des subséquentes reprises mondiales. Dans les pays développés, les politiques monétaires sont restées très accommodantes lors de la reprise consécutive à la récession mondiale de 2009, notamment avec l’usage de mesures non conventionnelles ; par contre, après l’adoption coordonnée de plans de relance budgétaire massifs en 2009, l’impulsion budgétaire a été très vite inversée, ce qui a contribué à fortement freiner la reprise des pays développés. Dans les pays en développement, les politiques budgétaires et monétaires sont restées accommodantes durant l’essentiel de l’actuelle expansion.

 

Références

KOSE, Ayhan, Naotaka SUGAWARA & Marco E. TERRONES (2020), « Global recessions », CEPR, discussion paper, n° 14397.

KOSE, M. Ayhan, & Marco E. TERRONES (2015), Collapse and Revival: Understanding Global Recessions and Recoveries, FMI.

ROGOFF, Kenneth, David ROBINSON & Tamim BAYOUMI (2002), « Was it a global recession? », in FMI, World Economic Outlook: Recessions and Recoveries.

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6 février 2020 4 06 /02 /février /2020 11:58
Quel est le coût politique des réformes structurelles ?

Depuis les années quatre-vingt, les gouvernements, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, sont régulièrement appelés à adopter des « réformes structurelles » pour stimuler la croissance et l’emploi à long terme : celles-ci désignent diverses mesures allant de la déréglementation des marchés des produits et du secteur financier à la flexibilisation des marchés du travail, en passant par l’ouverture des économies au commerce mondial ou aux flux de capitaux étrangers. 

Toute une littérature tend à considérer que ces réformes, en l’occurrence les déréglementations, ont pour principal effet de réduire et de redistribuer les rentes [Blanchard et Giavazzi, 2003]. Par exemple, si les marchés des produits sont fortement réglementés, les entreprises en place jouiront de profits élevés et s’inquièteront peu à l’idée d’être concurrencées par de nouvelles rivales ; une déréglementation des marchés des produits les pousse alors à réduire leurs prix, à diversifier leur offre et notamment à innover, ce qui bénéficie à court terme au consommateur et à long terme à l’ensemble de l’économie en stimulant le progrès technique et la croissance économique. De même, si le marché du travail est fortement réglementé, c’est-à-dire s’il est complexe et coûteux pour les entreprises d’embaucher et de licencier, les travailleurs jouiront d’un pouvoir de négociation élevé, mais celui-ci ne bénéficiera en définitive qu’aux « insiders », c’est-à-dire aux travailleurs en emploi, qui négocieront des salaires élevés au détriment des chômeurs, les « outsiders », dont  les rangs grossiront et dont les chances d’être embauchés diminueront ; dans cette optique, une déréglementation du marché du travail inciterait les entreprises à embaucher et donc à produire davantage, notamment parce qu’elles gagneraient ainsi en compétitivité. Dans les deux cas, la réduction des rentes permet à l’économie de gagner en efficacité et la croissance s’en trouve stimulée. 

Mais même si une réforme se révèle bénéfique à long terme pour la collectivité sans son ensemble, elle risque de nuire à certains et notamment d’augmenter le chômage à court terme. Andrea Bassanini et Federico Cingano (2018) constatent, en observant des pays de l’OCDE, que les réformes réduisant les barrières à l’entrée sur les marchés des produits et les coûts de licenciement sur le marché du travail réduisent à court terme l’emploi, en particulier lors des récessions : la déréglementation des marchés des produits pousse certainement les firmes à vouloir réduire leurs coûts, notamment leur masse salariale, si bien qu’elles peuvent profiter de la baisse des coûts de licenciement, non pas pour embaucher, mais bien pour licencier. De leur côté, en étudiant les réformes des marchés des produits et du travail dans 26 pays développés, Romain Duval et Davide Furceri (2018) concluent que les réformes des marchés des produits accroissent à long terme la productivité et la production, mais que ce gain ne se matérialise que graduellement. Quant à l’impact des réformes du marché du travail, il dépend particulièrement du cycle d’affaires : la réduction de la protection de l’emploi et de la générosité de l’indemnisation du chômage nuit particulièrement à l’activité lorsque cette dernière est déprimée, dans la mesure où la réduction de l’indemnisation du chômage comprime davantage la consommation et où le manque de débouchés incite, de nouveau, les entreprises à profiter de la baisse des coûts de licenciement pour licencier. Les réductions des coins fiscaux et les programmes de formation semblent particulièrement stimuler l’activité, mais peut-être parce qu’ils s’accompagnent généralement d’une relance budgétaire. Les études portant sur les autres types de réformes aboutissent également à des résultats nuancés : par exemple, les réformes libéralisant les mouvements de capitaux semblent avoir des gains limités, mais creusent significativement les inégalités [Furceri et alii, 2019]. En définitive, il apparaît donc opportun d’adopter des réformes structurelles lorsque l’économie est en expansion, voire d’accompagner leur mise en œuvre d’une relance budgétaire ou monétaire, non seulement pour en réduire les effets négatifs sur l’activité et l’emploi à court terme, mais aussi par là même pour mieux les faire accepter par la population.

En effet, dès lors que les gains et les coûts d’une réforme sont inégalement répartis dans la population, ceux qui se perçoivent comme perdants peuvent se mobiliser pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils abandonnent ou allègent leurs réformes [Olson, 1971]. Ils risquent en outre de sanctionner les gouvernements réformateurs lors des élections. Les réformes structurelles peuvent donc avoir un coût politique pour le gouvernement en place, ce qui influence par conséquent certainement le rythme et le contenu des réformes, or ce lien a été très peu exploré par la littérature. De nombreux travaux ont cherché à relier les résultats électoraux à l’état de la conjoncture et ceux-ci ont suggéré que les gouvernements en place tendaient à être réélus lorsque l’économie est en expansion et à perdre les élections lors des récessions. Mais il y a par contre très peu de travaux cherchant précisément à déterminer les répercussions électorales des réformes structurelles.

Dans les études qui font exception, Marco Buti et alii (2010) ont cherché à identifier les conséquences politiques des réformes structurelles en observant un échantillon de 21 pays de l’OCDE sur la période allant de 1985 à 2003. Leur analyse suggère que les chances de réélection des gouvernements en place ne sont pas significativement affectées par les libéralisations qu’ils ont pu mettre en œuvre. Pour autant, l’impact électoral d’une réforme dépend de sa nature : par exemple, les réformes semblent d’autant plus coûteuses pour le gouvernement en place que le nombre d’« insiders » auxquels elles nuisent est important. Buti et ses coauteurs suggèrent que certains pays pourraient être d’ailleurs piégés dans une « trappe à rigidité » : les gouvernements procédant à des réformes de libéralisations dans des pays où la réglementation des marchés des produits et du travail est très stricte tendraient à être particulièrement sanctionnés lors des élections, ce qui pourrait en définitive désinciter les gouvernements à assouplir la réglementation. 

Dans deux nouvelles études, Gabriele Ciminelli et alii (2019) et Alberto Alesina et alii (2020) ont cherché à identifier les répercussions électorales des réformes des marchés du travail, des déréglementations des marchés des produits, des ouvertures du commerce extérieur, des déréglementations financières et des ouvertures financières dans 90 pays développés en en développement sur la période allant de 1973 à 2014. Leur analyse suggère qu’en termes de coût politique, le calendrier des réformes structurelles apparaît important à deux niveaux : leurs répercussions électorales dépendent de la position dans le cycle d’affaires où se situe l’économie lorsqu’elles sont mises en œuvre, mais aussi de la position dans le cycle électoral. Malgré leur apparent bénéfice économique, les réformes libérales sont coûteuses pour les gouvernements lorsque ces derniers les adoptent à la veille d’élections : la part des suffrages du principal parti au pouvoir décline dans le sillage des réformes structurelles lors des années élections, mais il n’y a pas un tel coût politique lorsque les réformes sont mises en œuvre plus tôt au cours du cycle électoral. Pour Alesina et ses coauteurs, ce coût politique pourrait s’expliquer par la lenteur avec laquelle les gains économiques se manifestent aux yeux des électeurs ou par le fait que ces derniers soient impatients : les électeurs ne prennent pas en compte le fait que les gains des réformes ne se manifestent pas immédiatement. Cela risque d’être d’autant plus le cas si les réformes ont coût économique à court terme, en se traduisant par exemple par une montée, même transitoire, du chômage.

De plus, les répercussions électorales des réformes structurelles dépendent de la conjoncture en vigueur lorsque ces dernières sont mises en œuvre : les déréglementations sont particulièrement sanctionnées lorsqu’elles sont adoptées durant des années d’élections marquées par une contraction de l’activité, mais elles ne sont pas sanctionnées et sont même parfois récompensées lorsqu’elles sont adoptées lors des expansions. Les données suggèrent à Alesina et à ses coauteurs que les électeurs attribuent en partie l’état conjoncturel de l’économie aux réformes. Autrement dit, si la conjoncture est mauvaise dans le sillage de l’adoption de réformes, ces dernières sont perçues comme en partie responsables de cette mauvaise conjoncture.

En définitive, il apparaît optimal pour un gouvernement de mettre en œuvre des réformes structurelles lorsqu’il débute son mandat et que l’économie est en expansion, afin d’en accroître le gain économique et d’en réduire le coût électoral. Or, les gouvernements adoptent l’essentiel de leurs réformes lorsque l’économie est en récession et le chômage élevé, c’est-à-dire lorsque le gain de la réforme en termes de croissance est le plus faible et le coût électoral le plus élevé [Dias da Silva et alii, 2017]. Pour Alesina et ses coauteurs, ce mauvais choix de calendrier s’explique certainement par les contraintes auxquelles sont soumis les gouvernements. Peut-être que les gouvernements prennent conscience de la nécessité de stimuler la croissance à long terme lorsque la croissance courante est faible ; ou peut-être pensent-ils que l’opposition aux réformes sera moins importante lorsque l’activité est déprimée et le chômage élevé.

Enfin, ces deux études ont cherché à voir si ces différents constats étaient affectés par la nature du système politique, le niveau de vie du pays et le secteur sur lequel porte la réforme. Elles suggèrent que les gouvernements sont davantage punis lors des élections lorsqu’ils sont issus d’un unique parti plutôt que d’une coalition, très certainement parce que la responsabilité apparaît partagée dans le second cas. De plus, ce sont les libéralisations financières qui semblent particulièrement coûteuses pour les gouvernements en place. Les répercussions électorales ne semblent guère varier selon que le système politique est majoritaire ou proportionnel ou selon que le pays est une vieille démocratie ou qu’il s’est récemment démocratisé. Enfin, les coûts politiques lors des années d’élections semblent plus élevés pour les pays en développement que pour les pays développés, mais la différence n’est pas statistiquement significative. 

 

Références

ALESINA, Alberto F., Davide FURCERI, Jonathan D. OSTRY, Chris PAPAGEORGIOU & Dennis P. QUINN (2020), « Structural reforms and elections: Evidence from a world-wide new dataset », NBER, working paper, n° 26720.

BASSANINI, Andrea, & Federico CINGANO (2018), « Before it gets better: The short-term employment costs of regulatory reforms », in International Labor Relations Review.

BLANCHARD, Olivier, & Francesco GIAVAZZI (2003), « Macroeconomic effects of regulation and deregulation in goods and labour markets », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 3.

BUTI, Marco, Pietro BIROLI, Mathias THOENIG, Alesandro TURRINI, Paul VAN DEN NOORD & Ekaterina ZHURAVSKAYA (2010), « Reforms and re-elections in OECD countries », in Economic Policy, vol. 25, n° 61.

CIMINELLI, Gabriele, Davide FURCERI, Jun GE, Jonathan D. OSTRY & Chris PAPAGEORGIOU (2020), « The political costs of reforms: Fear or reality? », FMI, staff discussion paper, n° 19/08.

DIAS DA SILVA, Antonio, Audrey GIVONE & David SONDERMANN (2017), « When do countries implement structural reforms? », BCE, working paper, n° 2078.

DUVAL, Romain, & Davide FURCERI (2018), « The effects of labor and product market reforms: The role of macroeconomic conditions and policies », in IMF Economic Review, vol. 66, n° 1.

FURCERI, Davide, Prakash LOUNGANI & Jonathan D. OSTRY (2019), « The aggregate and distributional effects of financial globalization: Evidence from macro and sectoral data », in Journal of Money, Credit and Banking, vol. 51.

OLSON, Mancur (1971)The Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of Groups, Harvard University Press. Traduction française, La Logique de l'action collective.

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