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11 février 2023 6 11 /02 /février /2023 09:00
La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ?

L’inflation a régulièrement augmenté depuis le début de l’année 2021. Dans les pays développés, elle a retrouvé des niveaux qu’elle n’avait plus atteints depuis quatre décennies. Pour ramener l’inflation à sa cible, les banques centrales ont entamé un cycle de resserrement monétaire. C’est le cas de la Réserve fédérale depuis mars dernier. La question qui se pose est de savoir si elle est capable de ramener l’inflation à des niveaux plus raisonnables sans provoquer de récession, ni une forte hausse du chômage ; autrement dit, sans provoquer un atterrissage brutal de l’économie. Après tout, l'essentiel des effets de la politique monétaire sur l'inflation transite via ses effets sur l'activité économique : c'est précisément parce qu'il déprime l'activité qu'un resserrement freine les prix [Choi et alii, 2022].

Les responsables de la Fed espèrent faire atterrir en douceur l'économie, mais cette tâche n’est a priori pas évidente. En effet, comme le soulignait Milton Friedman (1961), la transmission de la politique monétaire sur l’activité économique souffre de « délais longs et variables » : ses effets ne se manifestent pas immédiatement. Par conséquent, lorsqu’une banque centrale resserre sa politique monétaire pour réduire l’inflation, cette dernière risque de ne pas réagir rapidement et de continuer à augmenter. En fait, le temps que les effets du resserrement monétaire se manifestent, l’inflation peut entamer une décrue indépendamment de celle-ci. Surtout, si la banque centrale augmente ses taux davantage que nécessaire pour ramener l’inflation à sa cible, l’activité risque de tellement ralentir que l’économie se retrouve en récession. Or, l’assouplissement monétaire souffre également de délais de transmission, si bien que si le resserrement monétaire se révèle excessif, la banque centrale risque de ne pas pouvoir assouplir assez vite sa politique monétaire pour empêcher l’économie de basculer dans la récession ou pour l’en sortir rapidement (1). C’est pour cette raison que Friedman craignait que l’usage de la politique monétaire pour stabiliser l’activité ne conduise en fait qu’à amplifier les fluctuations de celle-ci.

En outre, l’activité économique ne fluctue pas sous le seul effet de la politique monétaire : l’économie subit régulièrement des chocs externes. Les effets négatifs d’un resserrement monétaire sur l’activité sont atténués si l’économie connaît des chocs positifs. Par contre, ils seront amplifiés si l’économie connaît des chocs négatifs, comme une hausse du prix des produits de base, auquel cas les tentatives d’une banque centrale tenant de procéder à un atterrissage en douceur risquent de se solder par un atterrissage brutal. 

Alan Blinder (2023) a étudié les resserrements monétaires auxquels la Fed a procédés par le passé afin de déterminer dans quelle mesure la banque centrale a pu faire refluer l’inflation sans provoquer d’atterrissage brutal de l’économie. Il a en a repéré onze entre 1965 et 2022 (cf. graphique). 

GRAPHIQUE Taux des fonds fédéraux effectif (en %)

La Fed a-t-elle souvent réussi à faire atterrir en douceur l'économie américaine ?

Certains de ces événements peuvent être écartés de l’analyse. Par exemple, les resserrements de 2004-2006 et de 2015-2019 ont été suivis par une forte contraction de l’activité, mais ces dernières ne résultent pas des premières, du moins pas directement. La récession de 2007 a été provoquée par l’éclatement de la bulle immobilière, tandis que celle de 2020 a été provoquée par la pandémie et les mesures sanitaires adoptées en vue de la contenir. 

Les resserrements de 1972-1974, de 1977-1980 et de 1980-1981 ont été suivis par de fortes contractions de l’activité et les premières ont clairement contribué aux secondes. Autrement dit, il fallut trois atterrissages brutaux pour parvenir à juguler la Grande Inflation. Mais, dans le premier cas, Blinder estime que l’économie américaine aurait probablement basculé dans la récession même si la Fed n’avait pas resserré sa politique monétaire, dans la mesure où elle subissait des chocs d’offre négatifs particulièrement sévères. Et au cours des deux resserrements suivants, la banque centrale, sous les manettes de Volcker, ne cherchait absolument pas à procéder à un atterrissage en douceur : la Réserve fédérale affichait précisément son intention de provoquer une récession pour stabiliser les prix. 

Ainsi, si l’on fait abstraction de ces cinq épisodes, il reste six resserrements à l’examen. Suite à chacun d’entre eux, l’économie semble avoir connu un atterrissage en douceur : soit il n’y a pas eu de récession, soit celle-ci a été particulièrement limitée. Le resserrement de 1988-1989 s’apparente à une exception, mais Blinder estime que la Fed aurait parvenu à entreprendre un atterrissage en douceur s’il n’y avait pas eu la guerre du Golfe. 

D’un autre côté, les resserrements apparents de la politique monétaire n’en ont peut-être pas tous été de véritables. Par exemple, les hausses de taux ont été très limitées en 1965-1966 et en 1983-1984.  En outre, certains resserrements monétaires ont coïncidé avec des chocs positifs, qui en ont atténué les effets. Ce fut clairement le cas dans les années soixante, quand les dépenses publiques liées à la guerre du Vietnam soutenaient l’activité, et au milieu des années quatre-vingt, quand l’administration Reagan précéda à d’amples baisses d’impôts. Quant au resserrement monétaire du milieu des années quatre-vingt-dix, ses effets ont pu finir par être amortis par ceux de la naissante bulle internet. 

Blinder opte pour une conclusion plutôt optimiste : la Réserve fédérale s’est révélée capable par le passé de réduire l’inflation sans provoquer d’atterrissage brutal de l’économie. Mais à la condition que le besoin de lutter contre l’inflation ne soit pas trop pressant et que l’économie ne connaisse pas de chocs négatifs de grande ampleur.

A cet égard, la Fed ne semble pas aujourd’hui dans la situation la plus propice : l’économie américaine fait face à des niveaux d’inflation élevés et l’environnement extérieur ne s’est guère révélé être porteur ces derniers trimestres, notamment avec les perturbations persistantes des chaines de valeur internationales aux désordres provoqués par l’invasion russe de l’Ukraine. 

 

(1) Ce problème de délais dans la transmission de la politique monétaire est d’autant plus aigu que les effets de celle-ci sont asymétriques : les resserrements monétaires dépriment davantage l’activité économique que les assouplissements monétaires ne la stimulent [Choi et alii, 2022 ; Grigoli et Sandri, 2023].

 

Références

BLINDER, Alan S. (2023), « Landings, soft and hard: The Federal Reserve, 1965–2022 », in Journal of Economic Perspectives, vol. 37, n° 1.

CHOI, Sangyup, Tim WILLEMS & Seung Yong YOO (2022), « Revisiting the monetary transmission mechanism through an industry-level differential approach », FMI, working paper, n° 22/17.

FRIEDMAN, Milton (1961), « The lag in effect of monetary policy », in Journal of Political Economy, vol. 69, n° 5.

GRIGOLI, Francesco, & Damiano SANDRI (2023), « Monetary policy and credit card spending », BRI, working paper, n° 1064.

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5 février 2023 7 05 /02 /février /2023 08:49
Le bilan des banques centrales et l’économie

Le bilan des banques centrales a joué un rôle majeur dans la gestion des chocs financiers et macroéconomiques au cours des quinze dernières années. Lors de la crise financière mondiale de 2008, puis de la pandémie de Covid-19, elles ont procédé à de massifs achats d’actifs et fourni d’amples montants de liquidités au secteur financier. Ces interventions visaient à éviter que le système financier se retrouve paralysé et que les banques fassent faillite à la chaîne, asséchant complètement le financement de l’économie réelle et plongeant celle-ci dans la dépression.

Les interventions des banques centrales en tant que prêteurs en dernier ressort soulèvent toutefois des réserves. Il est par exemple possible qu’elles entraînent une mauvaise allocation du crédit, ce qui nuit à la croissance à long terme, ou qu’elles génèrent un aléa moral et alimentent la prise de risque des institutions financières, ce qui augmente la probabilité qu’une nouvelle crise financière éclate. En fait, en étudiant les crises bancaires qui ont éclaté dans environ 80 pays depuis la fin du dix-neuvième siècle, Michael Bordo et alii (2001) avaient conclu que les pertes en PIB étaient plus importantes lorsqu’elles étaient accompagnées d’une injection de liquidités par les banques centrales. Mais cette observation peut souffrir d’un biais d’endogénéité, dans la mesure où les banques centrales risquent d’injecter d’autant plus de liquidités qu’une crise est sévère. 

Dans tous les cas, les récessions sévères et les crises financières étant des événements rares, il apparaît nécessaire d’adopter une optique de long terme et d’observer un large échantillon de pays pour les étudier et étudier la réaction des banques centrales à leur égard. Niall Ferguson, Andreas Schaab et Moritz Schularick (2015) avaient analysé l’évolution à long terme des bilans des banques centrales, mais sans remonter au-delà du vingtième siècle, ni observer les répercussions des expansions de bilans. Dans une nouvelle étude, Niall Ferguson, Martin Kornejew, Paul Schmelzing et Moritz Schularick (2023) ont analysé l’évolution du bilan des banques centrales de 17 économies majeures sur une période s’étendant sur quatre siècles. Ces travaux montrent qu’au cours du temps la taille des bilans des banques centrales a fortement varié relativement à l’activité économique (cf. graphique 1). Ils remettent en cause l’idée, répandue, que les banques centrales n’ont guère utilisé leurs bilans avant une période récente : dès leur origine, finalement, elles ont utilisé leur pouvoir de création de liquidités pour jouer le rôle de prêteurs en dernier ressort et préserver l’économie de désastres. 

GRAPHIQUE 1  Actifs des banques centrales relativement au PIB (en %)

Le bilan des banques centrales et l’économie

Source : Ferguson et alii (2023)

Les deux tiers des soutiens en liquidité via le bilan des banques centrales que Ferguson et ses coauteurs ont enregistrés pour ces quatre derniers siècles ont été associées à des chocs géopolitiques ou financiers (cf. graphique 2). Initialement, les grandes expansions du bilan des banques centrales visaient à assurer le financement de l’Etat dans des situations de tensions géopolitiques ; ensuite, elles ont surtout été associées à la provision de liquidité lors des épisodes de détresses financières. En l’occurrence, ce n’est qu’à partir de la fin de la Grande Dépression qu’elles ont systématiquement utilisé l’expansion de leur bilan comme outil de stabilisation face aux crises financières. La nature des chocs auxquels le bilan des banques centrales a réagi a changé au fil du temps, pas simplement parce que les chocs ont changé de nature, mais aussi, manifestement, parce que les préférences même des banques centrales ont changé. 

GRAPHIQUE 2  Proportion de banques centrales connaissant une expansion majeure de leur bilan (en %)

Le bilan des banques centrales et l’économie

Source : Ferguson et alii (2023)

Certes, les banques centrales ont eu tendance à davantage détenir de titres publics ces dernières années ; aujourd’hui, elles détiennent environ 17,5 % de la dette publique. Cela dit, cette proportion reste bien moindre que celle observée lors des épisodes de monétisation de la dette publique, notamment ceux réalisés le sillage des guerres napoléoniennes : certaines banques centrales ont alors détenu près de 80 % de l’encours de dette publique (cf. graphique 3). 

GRAPHIQUE 3  Part de la dette publique détenue par les banques centrales (en %)

Le bilan des banques centrales et l’économie

Source : Ferguson et alii (2023)

En s’appuyant notamment sur des articles de journaux, des tribunes, des discours et des autobiographies, Ferguson et ses coauteurs ont distingué les banquiers centraux selon leur apparente position idéologique en matière de soutien au secteur financier : ils qualifient de « faucons » (hawks) les banquiers centraux qui mettaient l’accent sur les problèmes d’aléa moral et l’importance de la stabilité des prix, notamment lorsqu’il s’agissait de justifier une limitation du soutien au secteur financier, et de « colombes » (doves) ceux qui donnaient la priorité à des objectifs de croissance et d’emploi. Il apparaît alors que la position idéologique des banquiers centraux a influencé l’action des banques centrales lors des crises : les « colombes » ont eu une probabilité 36 % plus élevée d’accroître le bilan de leur banque centrale lors d’une crise que les « faucons ».

Lorsqu’ils se penchent sur les répercussions des opérations des banques centrales, Ferguson et ses coauteurs concluent que, tout au long de l’histoire moderne des pays développés, la fourniture de liquidité a contribué à stabiliser efficacement l’économie lors des crises financières. En effet, une forte expansion du bilan d’une banque centrale lors des deux années suivant le début d’une crise financière est associée à un PIB réel 21 % plus élevé au cours des trois années suivantes par rapport à un contrefactuel où il n’y a pas eu une telle expansion du bilan. En outre, cette intervention est associée à un rebond plus rapide des prix d’actifs et de l’investissement et à une baisse plus marquée du chômage. En moyenne, cette stabilisation s’opère sans forte inflation, alors qu’en son absence les crises financières tendent à être suivies par des épisodes prolongés de déflation. De plus, la fourniture de liquidités semble avoir été plus efficace lorsqu’elle est passée par des achats d’actifs privés plutôt que par un soutien de l’emprunt public via des interventions sur le marché des obligations publiques. Ce résultat suggère à Ferguson et à ses coauteurs que la stimulation de l’activité du secteur privée tient étroitement à l’absorption du risque par le secteur public. 

Cela dit, il apparaît que les effets positifs à court terme de l’expansion des bilans des banques centrales s’accompagnent d’effets pervers à moyen terme. Ferguson et ses coauteurs constatent que la fourniture de liquidité par les autorités monétaires est associée par la suite à une probabilité plus élevée d’épisodes de prises de risque excessives et de crises financières. Ce résultat suggère que l’intervention des banques centrales entraîne bien un aléa moral, comme le craignaient les « faucons ».

 

Références

BORDO, Michael D., Barry EICHENGREEN, Daniela KLINGEBIEL & Maria Soledad MARTINEZ-PERIA (2001), « Is the crisis problem growing more severe? », in Economic Policy, vol. 16, n° 32.

FERGUSON, Niall, Martin KORNEJEW, Paul SCHMELZING & Moritz SCHULARICK (2023), « The safety net: Central bank balance sheets and financial crises, 1587-2020 », CEPR, discussion paper, n° 17858.

FERGUSON, Niall, Andreas SCHAAB & Moritz SCHULARICK (2015), « Central bank balance sheets: Expansion and reduction since 1900 », CESifo, working paper, n° 5379.

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29 janvier 2023 7 29 /01 /janvier /2023 10:10
Quelles ont été les répercussions macroéconomiques de l’adoption du ciblage d’inflation ?

La stagflation des années soixante-dix a fini par convaincre les banques centrales de donner la priorité à la seule lutte contre l’inflation ; les travaux des nouveaux classiques leur suggéraient d’ailleurs que la stabilité des prix était le seul objectif qu’elles pouvaient espérer atteindre à long terme et qui maximise le bien-être collectif. Mais Robert Lucas et ses disciples affirmaient également que les banques centrales stabiliseraient plus efficacement les anticipations d’inflation si elles annonçaient publiquement un objectif précis et s’y tenaient. Inspirées par les thèses monétaristes, les banques centrales ont initialement cherché à cibler la croissance de la masse monétaire, mais très vite l’instabilité de la demande de monnaie et des agrégats monétaires les a amenées à abandonner cette stratégie. A partir des années quatre-vingt-dix, elles ont été de plus en plus nombreuses à se tourner vers une nouvelle stratégie : le ciblage de l’inflation.

La banque centrale de la Nouvelle-Zélande est la première à l’avoir adopté, en l’occurrence en 1989. Le taux d’inflation annuelle avait quasiment atteint les 12 % lors des trois années précédentes ; mais au cours des trois années qui suivirent l’adoption du ciblage d’inflation, il chuta à 3 % [Bhalla et alii, 2023]. Quatre autres pays développés, en l’occurrence le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Suède, et six pays émergents, notamment le Brésil, la Colombie et la Pologne, adoptèrent à leur tour le ciblage d’inflation au cours des années 1990. Dans ces pays, le taux d’inflation chuta également dans les trois années qui suivirent l’adoption du ciblage d’inflation. C’est cette apparente réussite qui a incité de nombreuses autres banques centrales a adopter également le ciblage de l’inflation les décennies suivantes.

La littérature a évoqué plusieurs bénéfices que l’adoption du ciblage d’inflation est susceptible de procurer. Celle-ci conduirait à une baisse du taux d’inflation et des anticipations d’inflation, ainsi que de leur volatilité [Bernanke et alii, 2000 ; King, 2002]. La baisse et la stabilisation de l’inflation observée et des anticipations d’inflation amélioreraient la croissance à long terme, par exemple en réduisant l’incertitude et les taux d’intérêt et en incitant par ce biais les entreprises à investir davantage [Bernanke et alii, 2000]. L’adoption du ciblage d’inflation réduirait le « ratio de sacrifice », c’est-à-dire les coûts en termes d’activité économique qui sont associés à une désinflation [Gonçalves et Salles, 2008 ; Huang et alii, 2019]. Elle aurait des bénéfices plus indirects, notamment en termes de croissance et d’efficacité de la politique monétaire, en amenant les autorités à gagner en transparence et en cohérence dans leurs décisions [Bernanke et Mishkin, 1997].

Plusieurs économistes se sont montrés moins enthousiastes [Bhalla et alii, 2023]. Certains doutent que l’adoption du ciblage d’inflation ait significativement contribué à réduire l’inflation, dans la mesure où l’inflation a simultanément baissé dans les pays qui ne l’ont pas adoptée. Kenneth Rogoff (2003) a par exemple noté que la formidable baisse de l’inflation observée à travers le monde depuis le début des années quatre-vingt-dix a été assez généralisée et qu’elle s’était notamment produite dans des pays aux cadres institutionnels très différents. Selon lui, même si l’amélioration de la politique monétaire a pu contribuer à la baisse de l’inflation, elle n’est en tout cas ni le seul facteur, ni le plus important, derrière celle-ci ; la mondialisation, en faisant pression à la baisse sur les prix et les salaires, aurait joué un rôle de premier plan. On peut également envisager d’autres tendances lourdes susceptibles d’avoir alimenté la désinflation, comme le vieillissement démographique. 

D’autres économistes ont précisément douté de l’efficacité de l’adoption du ciblage de l’inflation. Par exemple, la forte baisse de l’inflation qui a été rapidement observée dans les premiers pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation pourrait, non pas résulter de celui-ci, mais être relever d’un simple phénomène de « retour à la moyenne » (regression to the mean) : après avoir atteint des valeurs extrêmes, une variable comme l’inflation tend à revenir à des valeurs moins extrêmes, or une banque centrale risque précisément d’adopter le ciblage d’inflation quand elle juge faire face à une inflation excessivement élevée. Si c’est le cas, l’inflation aurait reflué dans les pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation même s’ils ne l’avaient pas adopté. C’est précisément la conclusion à laquelle ont abouti Laurence Ball et Niamh Sheridan (2004) en étudiant vingt pays de l’OCDE, dont sept qui ont adopté le ciblage d’inflation, à partir de données allant jusqu’à 2001. Ils notent certes que certains pays qui l’ont adopté ont connu une plus forte baisse de l’inflation que les autres, mais ceux-ci avaient initialement subi un plus fort emballement de l’inflation que ces derniers. 

Enfin, certains craignent que l’adoption même du ciblage d’inflation nuise à la croissance économique [Blanchard, 2003 ; Friedman, 2003]. En l’occurrence, l’adoption d’une telle stratégie risque d’amener les banques centrales à se focaliser excessivement sur l’inflation : elles pourraient moins se soucier des coûts macroéconomiques de la stabilisation de l’inflation et moins chercher à stabiliser l’activité en cas de récession. Elles pourraient également être moins attentives au risque d’instabilité financière, voire aggraver celui-ci en encourageant la prise de risque.

A partir d’un échantillon de données relatives à 190 pays, dont 24 pays développés, et allant jusqu’à 2019, Surjit Bhalla, Karan Bhasin et Prakash Loungani (2023) ont cherché à déterminer quelles ont été les répercussions de l’adoption du ciblage d’inflation sur l’inflation, la croissance et l’ancrage des anticipations d’inflation. Dans un premier temps, ils ont analysé des données de panel pour déceler les différences entre les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation et ceux qui ne l’ont pas adopté. Dans un deuxième temps, ils ont utilisé la méthode du contrôle synthétique pour comparer la dynamique de l’inflation et de la croissance qu’ont connue les pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation avec celle qu’ils auraient connue dans un scénario contrefactuel où ils ne l’auraient pas adopté.

Bhalla et ses coauteurs ont abouti à quatre grands résultats. Tout d’abord, si les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation avant 2000 ont connu après son adoption une baisse de leur taux d’inflation, ce n’est le cas que de la moitié des pays qui l’ont adopté ultérieurement. Deuxièmement, il n’apparaît pas de différences significatives en termes d’inflation moyenne, de volatilité de l’inflation et d’ancrage des anticipations d’inflation entre les pays qui ont adopté le ciblage d’inflation et ceux qui ne l’ont pas adopté. Troisièmement, la méthode du contrôle synthétique suggère que l’adoption du ciblage d’inflation n’a entraîné un gain significatif en termes d’inflation que dans un cas sur trois. Quatrièmement, cette même méthode ne suggère pas que le ciblage d’inflation ait systématiquement dégradé la croissance économique des pays qui l’ont adopté. 

En définitive, Bhalla et ses coauteurs confirment les observations que Ball et Sheridan avaient faites dans le cas des pays développés et montrent qu’elles s’appliquent également dans le cas des pays émergents et en développement. En l’occurrence, ils n’excluent pas la possibilité que les succès en termes d’inflation qu’ont connus les premiers pays à avoir adopté le ciblage d’inflation résultent d’un simple mouvement de retour à la moyenne. Ensuite, ils estiment que le ciblage de l’inflation ne semble guère avoir stimulé la croissance des pays qui l’ont adopté, contrairement à ce que pensent nombre de ses partisans. D’un autre côté, son adoption ne semble pas non plus avoir pénalisé la croissance, contrairement à ce que pensent ses détracteurs.

 

Références

BALL, Laurence, & Niamh SHERIDAN (2004), « Does inflation targeting matter? », in Bernanke & Woodford (dir.), The Inflation-Targeting Debate, University Of Chicago Press.

BERNANKE, Ben S., Thomas LAUBACH, Frederic S. MISHKIN & Adam S. POSEN (2000), Inflation Targeting: Lessons from the International Experience, Princeton University Press.

BERNANKE, Ben S., & Frederic S. MISHKIN (1997), « Inflation targeting: A new framework for monetary policy? », in Journal of Economic perspectives, vol. 11, n° 2.

BHALLA, Surjit S., Karan BHASIN & Prakash LOUNGANI (2023), « Macro effects of formal adoption of inflation targeting », FMI, working paper, n° 23/7.

BLANCHARD, Olivier (2003), « Inflation targeting in transition economies: Experience and prospects. A comment », in Bernanke & Woodford (dir.), The Inflation-Targeting Debate, University Of Chicago Press.

FRIEDMAN, Benjamin M. (2003), « The use and meaning of words in central banking: Inflation targeting, credibility, and transparency », in Mizen (dir.), Essays in Honour of Charles Goodhart, vol. 1, Elgar.

GONÇALVES, Carlos Eduardo S., & João M. SALLES (2008), « Inflation targeting in emerging economies: What do the data say? », in Journal of Development Economics, vol. 85, n° 1-2.

HUANG, Ho-Chuan, Chih-Chuan YEH & Xiuhua WANG (2019), « Inflation targeting and output-inflation tradeoffs », in Journal of International Money and Finance, vol. 96.

KING, Mervyn (2002), « The inflation target ten years on », discours prononcé à la London School of Economics, 19 novembre.

ROGOFF, Kenneth (2003), « Globalization and global disinflation », article préparé pour la conférence de Jackson Hole, 29 août.

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